Le droit canonique était-il en avance sur son temps en permettant la stipulation pour autrui, alors que le droit français n'a formellement consacré cette pratique que lors de la réforme du 10 février 2016 (art. 1205) ?

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Publié le: 11-07-2025

Le droit canonique était-il en avance sur son temps en permettant la stipulation pour autrui, alors que le droit français n'a formellement consacré cette pratique que lors de la réforme du 10 février 2016 (art. 1205) ?

Le Décret de Gratien se révèle être une source précieuse pour éclairer cette question, présentant un passage particulièrement instructif : le canon C. 1 q. 7 c. 9, dont l'espèce mérite une attention toute particulière. Il y est relaté le cas d'un évêque schismatique désireux de se réconcilier avec l'Église. Afin d'y parvenir, cet évêque promet à une personne, vraisemblablement un ecclésiastique, de respecter les principes et enseignements de l'Église à compter de l'instant de la promesse. Bien que celle-ci soit adressée à une personne présente, elle s'étend également à Saint-Pierre, représenté par l'intermédiaire de ce clerc – « Promitto tibi et per te Sancto Petro [...] ». En validant une telle stipulation, le droit canonique reconnaît-il, de fait, la validité de la stipulation pour autrui, contredisant ainsi la règle du Digeste de Justinien qui énonce que « nul ne peut stipuler pour autrui » – règle reprise par l’article 1119 du Code civil avant la réforme de 2016 ?

La Glossa Palatina de Laurent d'Espagne (Bibliotheca Vaticana, MS Pal. 658, fol. 29ra) semble suggérer une conciliation de ces deux principes. En effet, si le Digeste est reconnu dans sa prescription par le droit canonique, celui-ci ne l’applique pas de manière contraignante dans son propre système juridique. Cette coexistence s’explique par la conception papale : le Pape, en tant que « serviteur des serviteurs de Dieu », apparaît comme un intermédiaire dans une logique de représentation. Ainsi, Laurent d'Espagne commente :

« Argumentum contra Instituta De inutilibus stipulationibus § Si quis alii [Inst., 3, 19, 4] quia ibi dicitur, quod alteri stipulari, vel pacisci nemo potest, nisi sit servus eius, ut ibi, vel procurator praesentis Digestum De verborum obligationibus Si procuratori praesens [D., 45, 1, 79] : Dic ergo ideo hoc fieri, quam Papa servus est Beati Petri. Unde dicit de se in epistolis suis, servus servorum Dei. »

Deux règles, deux systèmes de valeurs, chacun ancré dans son époque, mais dont les résonances s’avèrent d’une étonnante actualité dans le cadre de notre réflexion juridique contemporaine.

Johannes Teutonicus, Gl. ord. ad C. 1 q. 7 c. 9, V° Et per te ([Johannes Teutonicus et Bartholomaeus Brixiensis, Glossa ordinaria ad Decretum Gratiani], in Decretum Gratiani cum glossis, 2 vol., Rome,Stamperia del popolo romano, 1582, col. 757-758); C. 1 q. 7 c. 9 : Quoties cordis oculus (...), Æ. Friedberg, Corpus iuris canonici, Secunda pars, Decretum magistri Gratiani, Leipzig, Bernhardi Tauchnitz, 1879, p. 431-432.

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